L’Espagnol Cupa, premier producteur mondial d’ardoise, part en croisade pour sauver les traditions françaises. En tout cas une : l’usage de l’ardoise. Une des spécificités françaises est d’être le premier marché mondial. L’hexagone consomme à lui-seul presque la moitié de la production mondiale, soit 190.000 tonnes l’an dernier sur les 450.000 tonnes produites dans le monde. En 2008, en France, l’ardoise était le matériau choisi pour 11% des surfaces couvertes (toitures). Ce qui représentait 16 millions de m2 sur 145 millions de m2 de surfaces couvertes totales. Tout n’est pas de l’ardoise naturelle : cette dernière doit faire face aujourd’hui à la concurrence de matériaux de synthèse présentant l’apparence de l’ardoise, essentiellement de la fibre de ciment, qui comptait pour 5 des 16 millions de m2 couverts. Le matériau naturel reste toutefois bien positionné.
La France est pour Cupa un marché d’autant plus stratégique que ce groupe familial espagnol n’a pas besoin de s’y battre contre des acteurs locaux : depuis les années 90, les ressources françaises sont quasiment épuisées. Dernier producteur emblématique, les Ardoisières d’Angers viennent de fermer leurs portes fin mars (« Les Echos » du 4 mars). Elles devaient déjà creuser à 350 mètres et la poursuite de l’extraction aurait exigé d’aller jusqu’à 700 mètres, dans des conditions économiquement non viables.
Si la France, premier consommateur mondial, n’a désormais officiellement plus de ressources – hormis quelques petites carrières très locales –, l’Espagne, en revanche, est riche en ardoisières. Mais cela n’a jamais été dans les traditions ibériques d’utiliser ce matériau. Ce qui signifie qu’aujourd’hui, la France importe 94% de son ardoise d’Espagne (et 3% du Canada) et que Cupa exporte, quant à lui, 98% de la production de sa filiale dédiée à l’ardoise, Cupa Pizarras. Cette dernière assure 35% des besoins mondiaux et la France constitue de loin son premier débouché puisqu’elle représente la moitié de ses ventes soit 75.000 tonnes sur les 150.000 tonnes qu’il a écoulées l’an dernier. « Nos gisements, situés en Galice, ont des qualités d’ardoises très similaires au matériau angevin », assure le directeur général de Cupa Pizarras, Eduardo Mera.
Déclin structurel
Mais aujourd’hui, cette qualité ne suffit plus. Cupa a un problème structurel : le marché français de l’ardoise se réduit comme peau de chagrin. Alors que la France consommait 280.000 tonnes d’ardoise en 2000 et avait atteint un pic à 300.000 tonnes en 2007, en pleine euphorie immobilière, sa consommation a chuté à 240.000 tonnes en 2010 et est tombée à 190,000 tonnes l’an dernier. Ce ne sont pas les monuments historiques qui sauveront le marché, ils n’en représentent qu’une infime partie (4% des ventes de Cupa) « Une partie du recul est du à la crise de la construction, mais une partie seulement, analyse Eduardo Mera. Il y a aussi un déclin de l’usage de l’ardoise dans les constructions actuelles, lié à l’architecture contemporaine, qui favorise les toits plats (l’ardoise suppose des toits inclinés) et au fait que les architectes n’ont pas le réflexe d’utiliser ce matériau ». Jusqu’à présent, le groupe Cupa avait réussi à compenser le phénomène en écrasant la concurrence, portant sa part du marché français de 21% il y a dix ans à 35% en 2013 et son chiffre d’affaires groupe (dont la moitié vient de l’ardoise) de 171 à 312 millions d’euros, avec une rentabilité opérationnelle (Ebitda) encore meilleure puisqu’elle est passé de 12 à 32 millions. Mais la poursuite du phénomène commence à inquiéter et incite aujourd’hui le groupe familial, très discret (il n’avait ainsi jamais dévoilé ses chiffres), à vouloir se faire connaître. Il avait pénétré le marché via un suivi étroit des couvreurs : aujourd’hui ce sont les prescripteurs, à savoir les architectes et le grand public, qu’il veut toucher. Ce qui suppose de gagner en notoriété et de développer les produits en ardoise du futur.
Cupa a commencé en lançant, il y a cinq ans, un système de panneau solaire thermique invisible en ardoise, pour produire l’eau chaude sanitaire et l’eau de piscine. Le principe est simple : l’ardoise chauffant facilement avec le rayonnement solaire (même en l’absence de soleil), une couche d’aluminium rajoutée sur la face intérieure des plaques d’ardoises récupère la chaleur. Autre développement, un système pré-monté de panneaux de revêtement de façade vise, lui, les architectures contemporaines.
Cupa Pizarras espère une stabilité de ses ventes cette année et un gain de notoriété. Avec la rénovation de la toiture du Crillon prévue dans quelques semaines et la réfection de la toiture du château de Vincennes qui démarre cette année, il a une carte à jouer. Alors que les monuments historiques ne représentaient jusqu’à présent que 4% de ses ventes, la disparition des Ardoisières d’Angers va améliorer sa position.
Myriam Chauvot – www.lesechos.fr