Azrou-Qellal, hameau trônant comme une vigie, sur un mamelon de schiste bleu, ferme par le nord, dans une pinède clairsemée, le défilé septentrional des Bibans. La grande route menant vers la capitale serpente à travers un gruyère de carrières, des ballastières où des engins d’un autre âge, immobiles, rouillent disgracieux sur les joues bleuâtres des collines. Venant de Bordj-Bou-Arreridj, nous quittons l’inhospitalier canyon des Portes de fer pour entrer, par le sud, dans la wilaya de Bouira. La vue s’ouvre sur le majestueux Djurdjura légèrement enneigé.
Tassedart, le pays de l’ardoise bleue
La douce lumière de l’après-midi joue son concert inaudible sur la multitude lointaine de toitures rougeâtres serties sur les franges du manteau brumeux en un chapelet de perles inaccessibles dans l’immensité de la montagne. Après les petits villages de Tansaout et At-Vouali, nous traversons Taourirt pour entrer dans le pays de la pierre bleue. C’est un immense triangle, d’un millier d’hectares, ayant pour sommet, au nord, le village d’Ahnif et pour base, au sud, les ardoisières de Tassedart. Il est limité à l’est par la montagne boisée de Tichi, que les incendies de l’été passé ont défiguré, et à l’ouest, par la rivière Sidi-Aissa, petit confluent de l’oued Sahel, principal affluent de la Soummam.
« La région d’At-Mansour vit du travail de la pierre, depuis le début des années soixante dix, après que Boubekeur Daou eut l’idée d’exposer des échantillons de lames d’ardoise sur les larges accotements de la route nationale. Ceux qui ont des gisements d’ardoise sur leurs terres les exploitent ou les louent. Ceux qui ont des terrains à proximité de la route nationale en font des dépôts de vente de pierre. Les propriétaires d’engins, de tracteurs les utilisent dans l’extraction et le transport. Il y a enfin ceux qui n’ont que leur savoir faire ou leurs bras qui travaillent directement dans la carrière », explique Mouloud N., exploitant d’un gisement de pierre à Tassedart et tenant le deuxième parc d’exposition après celui de Kacem L.
J’ai grandi entre les pierres
Rabah A. pose son marteau sur les débris brillants de pierre bleue, pousse un soupir, époussette son veston et dit : « La pierre c’est mon monde, mon métier J’ai grandi entre les pierres. L’arracher aux entrailles de la terre, la façonner, la ciseler pour lui donner une forme et une âme, la vendre, voilà mon travail. Toute l’année durant, qu’il vente, qu’il pleuve, dans la poussière, sous le soleil de plomb, je tranche l’ardoise noire, le schiste jaune et le gré panaché. »
Un bruit de moteur monte crescendo, interrompt le tailleur de pierre qui parle en homme expérimenté, forgé par le labeur éreintant de la carrière de pierre depuis qu’il a quitté l’école primaire à douze ans. Un tracteur arrive, tirant dans un cahot
assourdissant, une remorque chargée de lourdes dalles noires salies par la marne, et de lames oblongues d’ardoise bleue fine, striée de filaments jaunes.
« D’abord les carreaux ensuite les pierres lourdes », ordonne Kacem, le propriétaire du « voyage ». Le déchargement s’effectue à la chaîne. Cinq ouvriers se passent les plaques de schiste les unes après les autres. Une demi-heure a suffi.
Nous confions notre véhicule à la vigilance de Rabah.
Le tracteur repart, emmenant sur ses garde-boues les jeunes ouvriers vers le plateau de Tassedart, l’immense gisement d’ardoise coincé entre la haute Soummam et les coteaux verruqueux de Bordj Bou-Arreridj, à l’orée du mystérieux Hodna.
Nous prenons place dans la remorque, accroupis, accrochés aux ridelles noircies de poussière de schiste. Aucun véhicule, à l’exception des tracteurs, ne peut emprunter le sentier rocailleux qui mène à l’ardoisière.
Dans les pinèdes du Hodna
Mouloud, ancien carrier et haveur confirmé, la cinquantaine bien marquée, nous accompagne. Le tracteur quitte le bitume du grand axe routier reliant Constantine à la capitale à quelques encablures de Taourirt, à hauteur du lieudit Tizi-n’zeggane, prenant par la droite un chemin muletier élargi à deux roues de véhicule. Il remonte péniblement le long de la rive gauche de l’oued Sidi Aissa, traverse plusieurs gués boueux dans un maquis de lentisques, de tamaris et de jujubiers qui surplombe le tracé de l’oléoduc saharien venant de Hassi Messaoud pour finir à Béjaïa.
La terre est ocre, hachurée de plaques bleuâtres. Des vestiges de travaux témoignent d’une ancienne activité agricole. Des traces de labours encerclent les frondaisons des oliviers jaunis par le gel, mal taillés depuis qu’ils furent déchiquetés par la neige l’an passé. Des murets de moellons grossiers retiennent la terre autour des racines des arbres ébouriffés par le vent automnal, manquant visiblement de soins. Des venelles striant le sol marquent le passage des troupeaux de chèvres et de brebis.
Après un parcours de six kilomètres de singulières secousses, le tracteur entre dans l’immense chantier. Des débris d’ardoise, des milliers de petites lames bleues brillantes, giclent sous la pression des roues. Le chauffeur slalome entre les énormes bassins de différentes profondeurs.
« Nous changeons de pneus tous les six mois. La caillasse dévore rapidement le caoutchouc. Ça revient trop cher, mais on n’a pas le choix », dit notre guide du jour. Aucune habitation alentour. Une source d’eau claire aménagée coule entre des bosquets de tamaris et de lauriers-roses à l’entrée de ce losange bleuâtre, pour traverser comme un long reptile la pinède clairsemée, au grand bonheur des hommes de pierre.
« Personne ne peut activer dans cette carrière, notamment en été, s’il n’y avait ce filet d’eau. La nature fait bien les choses. Nous venons de reprendre l’activité après
un arrêt de deux mois, la chaleur était insoutenable. La canicule et la poussière de schiste nous dévorent les poumons, nous changeons d’activité pour le petit commerce de fruits et légumes sur les bords des routes », commente Kacem le haveur aux mains calleuses.
Tassedart est un plateau rocheux incliné, caché dans une forêt de pins. La terre appartient à plusieurs familles de la région. Elle est louée en concessions aux professionnels de la pierre taillée jusqu’à épuisement de la roche. Une surface de cinq cents mètres carrés représente une concession moyenne. Après l’avoir décapée, les carriers la creusent et délitent la pierre en lames sur cinq à six mètres de profondeur, jusqu’à atteindre la roche dure. Le gisement est épuisé après trois à quatre ans d’extraction à un rythme moyen d’un homme travaillant au pieu, à la barre à mine, sans machine.
« Notre activité traverse une crise sans précédent. Vous pouvez le constater, il y’a près de soixante concessions abandonnées, pour seulement trente en activité. Ce n’est plus rentable. Il y a deux ans près de trois cents ouvriers activaient dans les carrières. Aujourd’hui, il reste à peine soixante ! On ne trouve plus d’ouvrier qui accepte de laisser sa jeunesse dans cet enfer à deux mille dinars la journée », dit Karim B., un athlétique ouvrier activant tantôt dans la carrière tantôt dans le point de vente.
Takfa enregistre. Malek mitraille de son numérique. Les deux étudiants m’accompagnent souvent dans mes pérégrinations paysannes
-C’est l’âge de la pierre taillée, dis-je aux deux étudiants.
– Belle formule, tu résumes bien l’atmosphère de cet enfer bleu, réponds Malek
A l’âge de la pierre taillée
Meftah S. est carrier depuis son jeune âge. Associé à Kacem, il travaille à l’extraction des dalles d’ardoise. Une besogne pénible accomplie avec des moyens rudimentaires. Une masse de dix kilos, un burin d’acier trempé : « On se débrouille avec ce qu’on a. Nous récupérons les tiges d’amortisseurs auprès des garagistes, les forgerons les transforment en burins, en haches, en pioches ou autres instruments », affirme Meftah, exhibant une longue tige d’acier pointue. Un bulldozer décape le sol dans un tintamarre qui crève les tympans. « Il n y a pas si longtemps toute cette masse de terre était sortie à la force des bras, l’épaisseur à nettoyer avant d’attendre la roche est parfois d’un mètre », ajoute l’homme de pierre.
Des jeunes, sans doute rejetés par l’école, et qui n’ont pas trouvé d’autre activité, s’attellent à la besogne, à la main, des pelles, des barres à mine, des masses énormes et des burins brillants.
L’étang de pierre percé d’une multitude irrégulière de bassins inégaux, comme un nid de guêpes, semble infini. On avance sur les bris d’ardoise tranchants comme des lames. Des tas de cendres à proximité de cabanes de roseau et de branchages témoignent de la précarité des conditions de travail.
« On fait un feu pour réchauffer le maigre repas qu’on ramène avec soi. Tselt-el-khali Un vrai no man’s land », dit Mouloud.
Aftah, le havage, est sans doute l’acte le plus pénible et aussi le plus valorisant. Il revient à l’ancien ouvrier de l’accomplir. Il consiste à pratiquer, au burin, une ouverture dans la surface unie de la roche plate. C’est le début du travail, de sa réussite dépend la suite de l’exploitation. On s’entoure de toutes sortes de précaution pour pratiquer leftih, la fenêtre, l’entaille, l’interstice d’ouverture et se frayer un chemin pour entamer l’abattage.
« L’objectif est de former les lames harmonieuses et fines, en suivant les veines de la roche. Utiliser ses failles naturelles, deviner ses points de rupture, ses faiblesses pour dessiner un bon front d’abattage, voilà ce qui distingue l’ancien haveur du novice. C’est un travail de précision, on n’utilise jamais d’explosifs », explique notre guide.
Il tousse et crache ses poumons
Trois bergers mènent quelques brebis et une dizaine de caprins vers la source, coulant d’entre deux pins d’Alep. Un vol de corbeaux tournoie sur la pinède. « C’étaient des carriers, puis un jour ils sont tombés malades. Ils crachaient du sang de leurs poumons. Après un long séjour à l’hopital, ils sont devenus incapables de soulever le marteau, ils sont réduits à garder les chèvres. Cette saloperie de maladie, la poussière de pierre s’entasse dans les poumons, la gorge, les yeux et le nez. Le médecin dit que ça s’appelle la Silicose », affirme Mouloud.
Des tracteurs vont et viennent. Ils dégagent les déblais, les déchets graveleux, la terre rose et les touffes de buissons.
« Notre vie se déroule entre cette carrière et notre point de vente à proximité de la route du Beylik. Il nous arrive de haver, un mois durant, pour constituer un bon stock de dalles à tailler sur le lieu de vente, un chantier en plein air sous les oliviers », commente Mouloud, usé et poli comme l’ardoise destinée au cimetière.
Kacem L. ajoute : « Notre journée n’excède pas cinq à six heures. C’est la limite physique supportable. Il faut être jeune et bien portant pour manier le marteau et la barre à mine toute la journée respirant la poussière de pierre. Tous les hommes que vous voyez là ont moins de quarante ans. Au delà, on se recycle dans le transport ou le gardiennage ».
Ni assurance, ni congé de maladie
Les hommes de pierre triment dans ces bassins bleus et noirs, vêtus de tristes haillons usés par le frottement des gravats. Ils n’ont ni casque, ni masque de sécurité, chaussés de simples espadrilles ou de bottes de plastique. Pas d’infirmerie à proximité de cette mine à ciel ouvert. Taourirt, la première agglomération se trouve à une dizaine de kilomètres.
Les risques sont multiples et réels. Les fractures sont quotidiennes. Il n’y a ni assurance, ni remboursements, ni congé de maladie, ni allocations familiales.
« Quand arrive un pépin, on s’accroche aux basques du bon dieu. Nous travaillons encore à l’ancienne. Le bull et le tracteur sont un progrès magnifique mais il reste beaucoup à faire. Sans électricité, on ne peut pas progresser. Le travail est encore manuel et l’outillage rudimentaire. On a eu des promesses d’aide mais c’est du vent en définitive », regrette, Karim B., le tailleur de pierres, maître du marteau et du burin.
Nous prenons place sur les dalles de schiste, dans la remorque d’un tracteur en partance. Il n y’a plus rien à voir dans ce monde moyenâgeux qui ne fasse mal au cœur. Du coup, je me pose une question cruciale : « Aurais-je encore le cœur à construire une maison avec les pierres tachées du sang de ces jeunes misérables ? »
Tassedart, énorme marche d’escalier naturel, adossée au mont Biban, est une ancienne carrière d’où les habitants d’At-Mansour, extraient, depuis des lustres, les lames d’ardoise pour pourvoir toute la Kabylie centrale en pierres tombales. Les jeunes de la région reproduisent par atavisme les réflexes des aïeux. Dans ce monde médiéval où l’homme affronte la nature les mains nues pour lui arracher sa subsistance, l’activité semble se dérouler dans une grande anarchie.
Artistes du burin
– A bien y regarder, on décèle un début de division du travail que la relance du bâtiment et de l’auto-construction dans le monde rural pourraient accélérer, estime l’étudiant Takfarinas.
– Une timide spécialisation se dessine malgré la polyvalence qui caractérise encore ces maîtres de la pierre et du marteau. Trois métiers sont déjà bien distincts. Les haveurs, en amont, jeunes, forts, capables de supporter de lourdes charges de travail, délitent la roche et arrachent les plaques d’ardoise. Ils constituent la base de toute l’activité, leur tache est de loin la plus pénible. Sans eux rien ne peut se faire. En aval, les tailleurs et les équarrisseurs jouissent d’une grande dextérité. Ce sont d’habiles finisseurs, de véritables artistes du burin et du marteau capables de façonner des tuiles d’ardoise, des briques de granit, des claveaux et des voussoirs pour les arcades et les linteaux, remarque Malek le futur architecte.
– Entre les haveurs et les tailleurs, activent les transporteurs. Ils constituent, avec leurs tracteurs, le trait d’union entre la lointaine ardoisière et la quinzaine de dépôts répartis de part et d’autre du grand axe routier, ancienne voie unique reliant Alger à l’est du pays, maintenant déclassée par l’autoroute. Les trois segments de l’activité exigent la présence de main d’œuvre sans qualification pour assurer le chargement et les menues taches indispensables pour la vie des dépôts et de la carrière, des jeunes aux bras forts et à la tête pas trop pleine, rejetés par l’école par fournées entières, explique Kacem L.
Il n’y a aucune activité notable dans cette région qui a tôt été marquée par l’émigration vers les villes algériennes, d’abord, puis vers la France au début du vingtième siècle.
– Boubekeur Daou eut l’idée, le premier, de tailler l’ardoise et de l’exposer à la vente à proximité des grands axes routiers. Il a installé un dépôt qui lui servait aussi d’atelier. Les commandes ont afflué. Ce fut le début de « l’ardoiserie », une activité qui pouvait tirer toute la région de la torpeur, raconte K. L.
– Le savoir faire existe, mais qui mettra la main à la poche pour moderniser l’outillage et mécaniser les taches les plus lourdes ? S’interroge Mouloud.
– Passé l’engouement des premières années, nous avons vite atteint nos limites, les jeunes qui veulent apprendre le métier sont de plus en plus rares. Ils sont nombreux ceux qui ont des problèmes respiratoires, ils vont à l’hôpital et le médecin leur interdit d’exercer ce metier à gros risques, regrette Ameur.
Cette région montagneuse intérieure encadrée par les affluents de l’oued Sahel, dominée par les versants septentrionaux du défilé des Bibans ne connaît que deux saisons dans l’année. Les courtes journées froides de l’hiver où il vente rageusement et pleut en averses dévastatrices qui lavent le sol et découvrent les lits d’ardoise et le calcaire blanc des profond ravins, et les longues journées de l’été qui ne laissent pas le temps au printemps de s’installer et recouvrir la lande de son manteau de verdure fugace. L’été dure pratiquement neuf mois étalant ses chaleurs sur l’automne. L’hiver, aussi froid soit-il, ne peut faire illusion durablement. A part quelques chevriers qui suivent leurs maigres troupeaux, la terre ne nourrit guère ses occupants. L’espoir est dans le sous-sol et son ardoise.
Rêves d’ardoise
Le temps semble arrêté ce vendredi 30 novembre. C’est le deuxième jour de l’hiver dans le calendrier agraire du Djurdjura, où les saisons ont trois semaines d’avance sur celle du calendrier universel. Nous sommes dans la durée dite « Iqechachen » marquée par a tombée des feuilles du figuier tardif. L’hiver n’est pas réellement installé, même si le froid tente une timide incursion après deux jours d’existence dans le calendrier berbère antique. Nous entamons Tagrest, avec Iqechachen , les sept journées capricieuses de l’almanach amazigh où les quatre saisons défilent dans la journée. Une légère brume blanchit les tamaris et les genêts, l’air embaume encore la lavande sauvage qui fleurit au grand bonheur des abeilles, et le parfum de la gomme de pin.
Kacem L. tient son établi sous un olivier. Il porte un masque en tissu improvisé à la maison. Le groupe électrogène ronronne et envoie le « Jus » nécessaire pour faire tourne la scie circulaire. Une panoplie d’outils jonche le sol. C’est là qu’il taille la pierre, lui donne une seconde vie. Depuis quelques jours, il dégauchit des dalles noires pour fabriquer de la « faïence » comme il la désigne, une commande spéciale qu’il ne peut confier à ses apprentis qui observent attentivement ces gestes précis de ses mains expertes sans aucune protection contre la poussière corrosive.
« C’est un travail délicat. J’utilise la laye, une hache dentée spéciale pour découper, tailler et façonner la pierre. J’use aussi de la sciotte, une scie à main pour couper la pierre tendre, le reste de l’outillage est classique, des burins effilés et des marteaux de plusieurs poids », explique Kacem qui maintient vaille que vaille l’activité du marché de la pierre bleue.
Mouloud N. exhibe sa main blessée. Un gros œdème, causé par un malencontreux coup de marteau l’empêche de travailler depuis une semaine. Les frères A., Rabah et Nabil, deux robustes jeunes hommes, le suppléent dans la délicate tache d’Anchar qui consiste à trancher l’ardoise pour former des lames harmonieuses et d’Andjar, la taille du gré en briques décoratives.
« La pierre se vend par « voyages ». La remorque d’un tracteur constitue l’unité de mesure pour tout achat et toute vente. Les tailleurs sont rétribués au mètre carré, leurs revenus sont en réalité très faibles. Ils ne dépassent guère un million de centimes par mois. L’activité tourne au ralenti, la crise socio-économique n’a épargné aucun métier », explique Ameur.
« Autrefois nous vendions une dizaine de voyages par jour. Depuis un an nous écoulons à peine la moitié. Les citoyens qui construisent leurs propres logis, ne peuvent se permettre la pierre bleue, ils se rabattent sur le parpaing et le béton » affirme Mouloud.
-Pouvez-vous nous envoyer deux voyages de pierres tombales pour le cimetière du village, je vous règle le dû de suite, demandé-je ?
– Nous vous offrons la pierre, vous payerez le transport à l’arrivée du tracteur ! Rétorque le généreux Kacem !
Nous quittons ces contrées arides où l’homme démuni et la roche éternelle se côtoient pour écrire des légendes surréalistes.
– Pourquoi des dalles pour le cimetière ? demande Takfa
-Il n’y en a presque plus au cimetière. La mort est naturelle, il ya toujours des morts à enterrer donc, on a besoin de dalles de schiste ! Et puis il faut bien leur acheter un voyage ou deux ,pour les aider , non ?
-Alors, tu tiens toujours à ta maison de pierre bleue ? Me demande Malek
– Je me contenterai de celle de mon grand-père dis-je engageant prudemment le véhicule sur le ruban d’asphalte noirâtre et tortueux comme le torve destin de ces invétérés tailleurs de pierre.
Le soleil avant de s’éteindre entre les pitons de Mlawa, dessine au dessus des pinèdes des arcs en ciel rutilants. Les maisons basses tapies entre les arbres hirsutes semblent des phares veillant sur les mamelons chauves cernés de pins et d’oliviers chétifs. Le ciel se couvre de lambeaux noirâtres, il pleuvra ce soir sur les maisons de pierre bleue. Les hommes y font des rêves d’ardoise.
Source: Algerie Monde Infos – bit.ly/2s8RSBP
Autor: Rachid Oulebsir